Un savoyard bien loin de ses montagnes

Quel joli et paisible lieu que le hameau des Granges à Talloires, en Haute-Savoie. Il a vue sur le lac d’Annecy et ses montagnes environnantes, peuplées de troupeaux de vaches Abondance, avec leurs « lunettes » rouges autour des yeux.

carte postale – Geneanet

C’est là qu’Antoine JOLY nait, le 14 mai 1839. L’air pur en fera un beau gaillard de 1m 75, au physique agréable, aux yeux et aux cheveux châtains, et au teint coloré.

Ses parents, Jean Joseph JOLY et Jeanne BARDET, sont cultivateurs. Antoine est le petit dernier d’une fratrie qui a compté jusqu’à six enfants, deux filles et quatre garçons. Un des garçons, Nicolas, né en mars 1831, a vécu moins d’un mois et une fille, Jacqueline, née en 1833, décèdera en 1850, à l’âge de 17 ans.

arbre famille JOLY – Heredis – Famille XXL

Hélas, la famille et la terre ne sont pas assez riches pour garder tout ce beau monde aux Granges, et seul Jean François, né en 1827 et qui épousera Françoise ARRAMBOURG en 1862 à Talloires, restera sur place.

Les trois autres enfants, dont Antoine, quitteront la Haute-Savoie, pour Saint-Claude, dans le Jura, à partir de 1860, afin de trouver du travail. Ce sera d’abord Cécile JOLY et son mari, Philippe Marie SUSCILLON, puis Claude JOLY, qui épousera Marie Elisa BUCHIN, une fille de Saint-Claude, en 1873, et enfin Antoine, qui a épousé Joséphine PESSET, le 22 avril 1863 à Alex, en Haute-Savoie, avant de partir, dans l’espoir de jours meilleurs.

Saint-Claude – Une vue générale – J. Mermet – 7Fi405 – Archives départementales du Jura

L’industrie qui se développe dans le Haut-Jura attire les travailleurs, bien au-delà du département. Une statistique recense 2 500 travailleurs à Saint-Claude en 1858 et on estime à 5 000 le nombre des ouvriers trente ans plus tard.

A cette époque, les entreprises travaillent dans trois secteurs : la pipe, la tabletterie et dans une moindre importance, le diamant. Antoine sera tourneur, et aussi mouleur. Le travail aux pièces est la seule forme de salariat et il trouve qu’il ne gagne pas assez pour offrir à sa famille une vie agréable.

Car Antoine et Joséphine ont eu quatre enfants entre 1864 et 1870, Marie Philomène, Jules Hippolyte, Adèle Eugénie et Sylvain Joseph. Les deux derniers cités ont cependant vécu moins d’un an.

Alors Antoine abandonne son métier d’ouvrier et devient colporteur, sans domicile fixe, pour améliorer son ordinaire. Mais il vole, ou tout du moins alimente son commerce de marchand ambulant avec des marchandises volées.

acte de naissance JOLY Alfred André – 21 novembre 1877 – Saint-Claude – 3E/7707 – AD Jura

Il sera condamné une première fois, le 8 décembre 1871, à Annecy, en Haute-Savoie, à 7 ans de réclusion pour vol qualifié. Il n’achèvera pas sa peine, puisqu’il est de nouveau condamné, le 15 juin 1877 à Chambéry, en Savoie, à un mois de prison, pour rupture de ban. Assigné à résidence à Saint-Claude, il avait rejoint son épouse. André Alfred, son dernier enfant, naitra d’ailleurs le 20 novembre 1877 à Saint-Claude.

extrait du « Patriote Savosien » – 17 avril 1878 – page 3 – Lectura Plus

Mais il n’avait pas fait que rejoindre Joséphine, il avait continué ses délits.


Ainsi, de mai à décembre 1877, le sieur Louis VAUTREY, négociant à Bourg-en-Bresse, est victime de cinq vols, dans le bazar qu’il tenait, Place Grenette, et qui était établi dans une barraque en planches, dont le toit était recouvert de tuiles. On était entré par effraction, en arrachant quelques planches et en enlevant des tuiles. Les marchandises soustraites, couteaux, carniers, accordéons, tabatières, médaillons, porte-monnaie, etc…, représentaient un préjudice d’environ 2 000 à 2 500 francs. Après les deux premiers vols, le sieur VAUTREY, excédé, avait installé un piège, constitué par un fusil chargé, à la détente duquel était attachée une ficelle disposée de telle sorte que le voleur devait inévitablement poser le pied dessus. Effectivement, lors du vol suivant, on retrouva des traces de sang, mais JOLY ne portait aucune trace de blessure, ce qui attestait du fait qu’il avait des complices.

Bourg-en-Bresse – Place Grenette – 5 Fi 53-54 – AD Ain

En janvier 1878, deux autres vols avaient été commis, avec le même processus d’effraction et escalade, l’un à Mâcon, l’autre à Lyon. Ainsi, dans la nuit du 8 au 9 janvier, ce fut le sieur BERNARD, bimbelotier à Mâcon qui en fut la victime, et dans la nuit du 16 au 17, le sieur CASARÈTE, marchand à Lyon.

On attribua aussi à Antoine JOLY un vol commis dans la nuit du 25 au 26 juillet 1877, à Saint-Claude. Un voleur s’était introduit, par un vasistas, dans le magasin du sieur GROSGURIN, en s’aidant d’une échelle. Mais il avait laissé celle-ci à l’extérieur, et au moment de battre en retraite, il fut bien embêté. Pour comble de malheur, ce voleur avait brisé une vitre dans l’obscurité et réveillé le sieur GROSGURIN, qui accourut. Celui qu’on supposait être JOLY profita à ce moment de la porte ouverte, pour s’échapper.

Ce n’est que le 21 janvier 1878 que la police eut enfin une piste sérieuse. Le sieur Henri ROUX, dit BRAVET, marchand ambulant, proposa en vente à la dame COLOMB, marchande à Bourg-en-Bresse, divers objets, dont la provenance parut suspecte à cette dernière. Elle avait en effet reconnu deux chapelets appartenant au sieur CASARÈTE, volés à celui-ci quelques jours auparavant.

Interrogé sur la provenance des objets, ROUX répondit qu’ils lui avaient été vendus récemment par JOLY. On présenta les autres objets en possession de ROUX aux sieurs VAUTHEY, BERNARD et CASARÈTE, qui reconnurent des objets leur appartenant.

JOLY est arrêté le 24 janvier 1878, à Bourg-en-Bresse, dans l’Ain, alors qu’il jouait de l’orgue de barbarie.

Il niera avoir volé les objets vendus à ROUX, mais les avoir achetés chez trois marchands de Genève, dont l’un se nommait THÉVENIN, sans toutefois pouvoir en apporter la preuve. D’ailleurs, on lui fera remarquer que ces marchandises, dont il avait été trouvé nanti, auraient dû avoir une marque, car tout marchand honnête a la marque de sa maison, et ce n’était pas le cas. Il tentera aussi de dire qu’il était loin des lieux des vols au moment des faits, mais son alibi ne tiendra pas aux yeux de la justice. Il sera démontré qu’il se trouvait à proximité des lieux des méfaits, au moment où ils s’étaient produits, et qu’il avait été vu en possession des objets volés peu après.

JOLY est d’abord jugé devant la Cour d’Assises de l’Ain, à Bourg-en-Bresse, les 8 et 9 avril 1878. L’accusation ne dit pas qu’il est l’auteur de tous ces vols, mais qu’il en est au moins le complice. Pourtant, pour les vols chez le sieur VAUTHEY, il y a doute, et Me MERMOD, le défenseur de JOLY expliquera que ce dernier était à Lyon chez le sieur GAILLARD, et non à Bourg-en-Bresse au moment des vols, de plus ce n’est pas lui qui a été blessé par le piège tendu par VAUTHEY, mais rien n’y fit. Le jury reconnut JOLY comme au moins coupable de complicité par recel des quatre vols, sans circonstances atténuantes et au vu de ses antécédents, le condamna à 20 ans de travaux forcés et 10 ans de surveillance.

extrait du « Courrier de l’Ain » – 9 avril 1878 – page 2 – AD Ain

Il fut ensuite jugé devant la Cour d’Assises de Lons-le-Saunier, dans le Jura, lors de l’audience du 10 juin 1878, qui ouvrait la session, pour la tentative de vol qualifié commise à Saint-Claude, en juillet 1877. Défendu par Me VINGTRINIER, qui obtint les circonstances atténuantes, ses déplorables antécédents lui vaudront quand même la peine de 5 années de travaux forcés.

extrait de « L’Écho de la montagne » – 15 juin 1878 – page 2 – Retronews

Antoine JOLY, qui n’avait pas dénoncé les vrais voleurs (ou ses complices), arrivera au dépôt de l’Ile de Ré le 17 juillet 1878.


Au bagne, il fera plusieurs tentatives d’évasion, la première à partir de la Dumbéa, le 17 juillet 1879, en compagnie de Jean ALPHONSE, Marie Joseph CHASSAGNETTE et François Xavier SCHAEFFER, ses compagnons de voyage sur le Navarin. Il sera réintégré dès le lendemain. Cette tentative lui vaudra une condamnation à deux ans de travaux forcés le 14 novembre de la même année. Il fera une nouvelle tentative le 2 février 1891 et sera réintégré le même jour.

Dans la colonie, il passe en 1ère classe le 24 septembre 1884, mais est rétrogradé en 2ème classe le 2 mars 1891, à la suite de sa deuxième tentative d’évasion. Il passera 4.1 n° 12469 le 1er mai 1905.

Antoine JOLY décèdera le 30 mai 1913 à Nouméa. Il avait 75 ans.

En France, la famille d’Antoine a continué à vivre à Saint-Claude.

Sa fille, Marie Philomène JOLY, ouvrière en pipes, s’y est mariée le 18 novembre 1888 avec Léon Charles MARTIN, tourneur. Elle décèdera en 1904.

Son fils, Jules Hyppolite JOLY, tourneur, y a épousé Louise Joséphine VINCENT-NEVEU le 20 mai 1893. Il décèdera en 1907.

Son dernier fils, André Alfred JOLY, employé de commerce, s’y est marié le 30 septembre 1905 avec Marie Adeline Noémie BICHET. Il décèdera en 1921.

Dans les actes de mariage des enfants, le père était signalé domicilié à Nouméa et dans l’impossibilité de donner son consentement.

Quant à l’épouse d’Antoine JOLY, elle décédera le 7 février 1911 à Saint-Claude.


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