Un fratricide incité à la haine par sa mère

A Saint-Maurice-près-Pionsat, dans le Puy-de-Dôme, la famille de Marie Joseph CHASSAGNETTE n’était pas réputée pour avoir une intelligence très développée.

Elle vivait au village du Cluzel, situé sur le penchant d’une vallée couverte de prairies traversées de petits torrents.

Elle se composait d’Antoinette VACQUAND, la mère, veuve de Martin CHASSAGNETTE, cultivateur, décédé le 9 octobre 1868, de ses deux fils, Joseph Jean, né le 26 décembre 1849 et Marie-Joseph, cultivateur et maçon, né le 15 août 1851, ainsi que de sa fille, Marie, née le 31 octobre 1862.

Famille CHASSAGNETTE – Heredis – Famille XXL

Joseph Jean, l’ainé, était atteint depuis longtemps d’aliénation mentale. Dans le village, on l’appelait « le fou », mais on le considérait comme inoffensif. Malgré sa folie, il s’occupait un peu de la culture des propriétés de la famille, mais pas assez cependant pour ne pas être à la charge de celle-ci.

Pour sa mère, c’était un poids qu’elle ne pouvait plus supporter. Elle ne cachait pas les sentiments de haine qu’il lui inspirait. Ses voisins l’avaient, à maintes reprises, entendue dire que « s’il venait à mourir, ce ne serait pas une grande perte ». Elle poussait même son autre fils, Marie-Joseph, à le frapper, « quand il le tuerait, disait-elle, nous en serions débarrassés ». En attendant, elle imposait à ce pauvre innocent des privations de tout genre.

extrait du « Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire » – 2 février 1878 – page 3 – Retronews

La vie était devenue intenable pour Marie-Joseph, sous l’influence nocive de cette mère, et il avait confié à certains son intention de quitter le pays « car sa mère pourrait bien lui faire un mauvais coup » alors qu’il venait de rentrer depuis quelques mois de sa période d’exercice militaire. Il était alors affecté au 13ème bataillon du génie stationné à Grenoble en juin 1877.


C’est dans cette ambiance délétère que le 28 janvier 1878, la gendarmerie apprend que Joseph Jean CHASSAGNETTE a disparu depuis plusieurs jours. Les hommes de la maréchaussée se rendent au village de Cluzel et interrogent Marie-Joseph, qui ne donne aucune indication précise sur cette disparition. La mère, elle, était partie depuis le matin, soi-disant à la recherche de son fils disparu.

Mais le soir même, Marie-Joseph se présente à la caserne et déclare que le 18 janvier, vers les quatre heures et demie du soir, alors qu’il travaillait avec son frère dans un pré dit des Trémouilles, celui-ci avait frappé sa mère, occupée à garder des moutons, puis l’avait lui-même attaqué et pris au cou. Pour se défendre, il avait fait usage d’un pistolet. Le coup de feu avait atteint son frère dans la bouche et ce dernier était tombé inanimé. Il exprima de vifs regrets du crime qu’il avait commis, mais il ajouta que c’était sa mère qui l’y avait poussé. Sa mère et un sieur VACQUANT, proche parent, l’avaient ensuite aidé à enterrer le cadavre, dans le champ des Trémouilles.

extrait du « Rappel » – 31 janvier 1878 – page 4 – Retronews

La veuve CHASSAGNETTE, interpelée à son tour, fit un récit différent de celui de son fils. Les faits se seraient déroulés à midi et non à 16h30. Marie-Joseph aurait été frappé avec une pelle et non renversé par son frère, et le coup de pistolet serait parti involontairement.

Plusieurs témoins vont mettre à mal ces affirmations. La veuve CHASSAGNETTE ne gardait semble-t-il pas son troupeau de moutons le 18 janvier, elle l’avait confié à sa fille, Marie. Ce jour-là, plusieurs personnes avaient vu les deux frères travaillant tranquillement. Marie-Joseph faisait alors creuser à son frère, le fossé dans lequel, ironie du sort, il allait être enseveli quelques heures plus tard. Un autre témoin, la fille SALPAINTE, qui gardait ses moutons dans un champ voisin, déclare qu’entre 16 heures et 17 heures, elle a entendu la veuve CHASSAGNETTE, qui criait, dans la direction du pré des Trémouilles : « Tue-le donc, on n’en parlera plus ».

Après le meurtre, pour expliquer la disparition de Joseph, la mère et le fils avaient simulé un vol, que le malheureux aurait commis avant de s’enfuir.

Mais Marie-Joseph commençait à être rongé par les remords et au sieur DUBOSELARD, qui lui demandait la cause de sa tristesse, il avait dit : « C’est ma mère qui m’a mis dans ce mauvais cas, et il y a bien lieu d’être triste ». Il tentera cependant un dernier système de défense, en prétendant que son frère s’était suicidé.

Selon les indications données par Marie-Joseph, le cadavre fut exhumé. Il se trouvait dans un tertre voisin du lieu du crime, enfoui à environ 50 cm de profondeur. Plus de deux mille personnes étaient accourues des communes avoisinantes, malgré le temps épouvantable qu’il faisait, et lorsqu’on sortit le cadavre, un cri d’effroi partit de la foule.

L’autopsie pratiquée contredira aussi le système de défense de la mère et du fils.

extrait du « Journal des débats politiques et littéraires » – 6 juillet 1878 – page 3 – Retronews

Le cadavre ne portait aucun signe de violence. Les lèvres étaient intactes. En les entrouvrant, on remarquait que quatre dents avaient été brisées par le canon d’une arme à feu et que le palais présentait deux petites plaies, dont une allait jusqu’au cervelet, mais que les gencives n’étaient ni ecchymosées, ni noircies par la poudre. L’absence de toute lésion externe indiquait que c’était intentionnellement que le canon avait été introduit de force dans la bouche de la victime.

Lorsque la Cour d’Assises du Puy-de-Dôme se réunit à Riom, le 27 mai 1878, pour juger de cet assassinat, Marie-Joseph CHASSAGNETTE est seul dans le banc des accusés.

extrait « Gazette des tribunaux » – jeudi 27 juin 1878 – page 1 -ENAP

Sa mère, Antoinette VACQUAND, est morte quelques jours plus tôt, le 23 mai 1878, à Clermont-Ferrand, dans un asile d’aliénés. Le remord, ou peut-être la crainte de la peine capitale, lui aurait fait perdre la raison.

Il est cependant reconnu que ce crime a été longuement prémédité par la défunte et qu’elle a, par ses provocations incessantes, funestement influencé son fils. Plusieurs personnes viendront d’ailleurs témoigner en faveur de l’accusé, défendu par Me BRESCHARD.

Reconnu coupable d’homicide volontaire, avec toutefois admission de circonstances atténuantes, Marie-Joseph CHASSAGNETTE, ce grand costaud d’1m 77 aux yeux noirs, dont la figure douce et sympathique prévenait en sa faveur, est condamné, le 28 mai 1878, à la peine de 12 ans de travaux forcés, sans surveillance.

Marie-Joseph CHASSAGNETTE se pourvoira en cassation, mais son pourvoi sera rejeté le 27 juin 1878, et il arrivera au dépôt de l’Ile de Ré le 17 juillet 1878.


Au bagne, à peine arrivé, il tente de s’évader de la Dumbéa, le 17 août 1879, en compagnie de trois autres condamnés qu’il a connus à bord du Navarin, Jean ALPHONSE, Antoine JOLY et François Xavier SCHAEFFER. Il sera repris quelques jours plus tard, le 29 août 1979, par les colons, à la Coulée Boulari, en compagnie de François Xavier SCHAEFFER.

Il se montrera ensuite exemplaire. Il passe 1ère classe le 1er décembre 1880 et est proposé pour une remise de 18 mois sur sa peine le 28 février 1885. Proposé, par grâce générale, pour une remise d’un an, en 1886, il l’obtiendra en 1887 et passera 4.1 n° 6884 le 27 juin 1889. Il était normalement libérable seulement le 27 juin 1890.

Il profitera moins de cinq ans de sa liberté, puisqu’il décèdera le 27 mars 1895 à l’Ile Nou. Il avait 43 ans.

En France, il ne restait plus que Marie, la jeune soeur du meurtrier, née en 1862. Elle décèdera le 13 mars 1885, au village du Faux de Saint-Maurice-Près-Pionsat, à l’âge de 22 ans, célibataire. Ainsi s’éteindra cette branche de la famille CHASSAGNETTE.


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