Quoi de plus normal pour un marin, que de tenter de s’évader du bagne par la mer

C’est dans le nord du département de l’Eure, dans un joli village portant le nom de Saint-Pierre-du-Bosguérard, que Louis Auguste ANGRAND est né, le 23 février 1855. La commune, occupée dans les temps anciens par les Romains, qui y construisirent une place fortifiée, comptait alors environ 400 habitants.

Son père, François Alphin ANGRAND, journalier, était originaire du lieu, et son grand-père, Jean Pierre Guillaume Etienne ANGRAND, y avait été marchand boucher. Sa mère, Henriette Félicité PÉTEL, venait de Tourville-la-Campagne, le village voisin.

Famille ANGRAND – Heredis – Famille XXL

Ils s’étaient mariés le 3 novembre 1846 à Saint-Pierre-du-Bosguérard, et deux fils étaient déjà nés avant Louis Auguste : Etienne Désiré en 1847, et Pascal Théodore en 1851.

La famille va cependant quitter rapidement l’Eure pour la Seine-Maritime et Louis Auguste n’a que 7 ans, lorsque son père décède, le 10 août 1862, à Caudebec-Lès-Elbeuf.

Henriette Félicité PÉTEL, sa veuve, devient ouvrière de fabrique. L’ainé des fils, Etienne Désiré, décède à l’âge de 20 ans, le 26 mars 1869, à l’Hospice d’Elbeuf. Le cadet, Pascal Théodore, revient dans l’Eure pour épouser Ernestine CHAMPION le 14 juin 1873, à Evreux, et pour travailler comme surveillant à l’Hospice départemental.

La mère de Louis Auguste décède le 31 août 1876 à Orival, dans la maison DELAPLANCHE. Elle avait 49 ans.

Quant à Louis Auguste, on ne sait quasiment rien de sa prime jeunesse. Il a migré à Elbeuf avec sa famille, mais, orphelin de père, il s’est dirigé vers la Marine.

A 20 ans, le 15 décembre 1875, il est Inscrit maritime à Rouen et versé à compter du dit jour à la Direction de Cherbourg, dans la Manche.

matricule ANGRAND Louis Auguste – classe 1875 – Rouen Sud – 1 R 2686 – AD Seine-Maritime

Matelot de 3ème classe, il servira l’Etat pendant 27 mois et 20 jours en alternant des périodes en mer et à terre.

Il passera un peu plus de 6 mois sur le “Beaumanoir” de mars à septembre 1876, environ un mois sur le “Coligny” en 1877 et enfin presque 6 mois sur le bâtiment central de la réserve de Cherbourg entre août 1877 et février 1878. Ensuite, il servira l’Etat sur le croiseur “Kersaint”, du 3 mars au 5 avril 1878, puis à bord du “Montcalm”.

inscription maritime ANGRAND Louis Auguste – quartier de Rouen – 7 P 4_79 – AD Seine-Maritime

On sait que dans la Marine, plusieurs navires ont pu porté le même nom, suivant les époques.


C’est le 4 juin 1878, alors qu’il est en bordée depuis trois jours et “abruti”, de son aveu même, qu’il commet un vol sur un chemin public. Ce jour-là il dérobe une somme d’environ 9 francs au préjudice du sieur MARTIN, conducteur de bestiaux, avec la circonstance aggravante que le crime est commis avec violence. Louis Auguste ANGRAND n’avait aucune condamnation antérieure à son actif, et une note du Commandant indiquait que : “cet homme mérite une certaine indulgence et d’être encouragé au bien, attendu que je le crois susceptible de réparer la faute qu’il a commise”.

extrait dossier de bagne ANGRAND Louis Auguste – COL H 1686 – ANOM

Malgré cela, il sera condamné à 10 ans de travaux forcés, assortis de 10 ans de surveillance de la Haute police, le 29 juin 1878, peine prononcée par le Conseil de guerre de Cherbourg.

extrait dossier de bagne ANGRAND Louis Auguste – COL H 1686 – ANOM

La sentence est suivie de la dégradation militaire, le 4 juillet 1878.

Louis Auguste ANGRAND arrivera au dépôt de l’Ile de Ré le 20 juillet 1878.


Au bagne, il se distinguera par le nombre de ses tentatives d’évasion et par d’autres exactions. Lourdement condamné, il n’avait plus rien à perdre.

Moins de deux ans après son arrivée, Louis Auguste tente de s’évader de Montravel, le 24 mars 1880. Il est réintégré à l’Ile Nou quelques jours plus tard, le 9 avril 1880. Cette tentative lui vaudra une condamnation à 2 ans de travaux forcés le 20 juillet 1880.

Cette première tentative sera suivie de huit autres tentatives d’évasion :

  • avant mai 1881
  • avant octobre 1882
  • le 8 novembre 1883 (il sera réintégré le 7 décembre 1883)
  • le 22 juillet 1888 de Diahot (il sera réintégré le 8 août 1888)
  • le 11 décembre 1889 (il sera réintégré le 3 janvier 1890)
  • le 14 janvier 1891 (il sera réintégré le 18 janvier 1891)
  • le 21 août 1894 (il sera réintégré le 29 août 1894)
  • le 13 août 1902

En plus de ses tentatives d’évasion, il commettra une tentative de meurtre en 1884, ce qui fait que le 4 juillet 1888, date à laquelle il était potentiellement libérable, il n’était plus du tout d’actualité de le libérer.

Les peines pleuvaient sur son dos comme à Gravelotte.

Après les 2 ans de travaux forcés sanctionnant sa première tentative d’évasion, ce sera 5 ans de travaux forcés, 10 ans de surveillance et frais, le 13 mai 1881, pour la deuxième tentative, et 5 ans de travaux forcés, 20 ans de surveillance et frais, le 17 octobre 1882, pour la troisième tentative.

extrait dossier de bagne ANGRAND Louis Auguste – COL H 1686 – ANOM

Le 23 mai 1884, il sera condamné à mort, pour la tentative de meurtre, et le 20 juin, à 5 ans de travaux forcés pour évasion, peine qui est confondue avec celle de mort précédente.

extrait dossier de bagne ANGRAND Louis Auguste – COL H 1686 – ANOM

Cependant, à la fin de la même année, le 6 décembre 1884, sa peine de mort sera commuée en travaux forcés à perpétuité, assortis de 5 ans de double chaine, ce qui explique les quelques années où il ne tentera pas de s’évader.

Comme on l’a vu précédemment, sa dernière tentative d’évasion connue date du 13 août 1902. A partir de là, on perd la trace de Louis Auguste ANGRAND, qui avait alors 47 ans.

A-t ’il réussi son évasion ou s’est-il noyé ? On ne le saura sans doute jamais.

En France, après le départ de Louis Auguste, il ne restait plus que Pascal Théodore, son frère, comme représentant de la famille ANGRAND.

Il ne semble pas avoir eu, lui non plus, une vie des plus stable et régulière. Avec sa première épouse, Ernestine CHAMPION, épousée en 1873 à Evreux, il avait eu une fille, Ernestine, en 1877 à Elbeuf, puis un fils Léon Eugène Louis en 1882 à Bléville, mais qui ne vécut que 2 mois.

Ernestine sera abandonnée en 1884 aux Hospices de Rouen, et lorsqu’elle se mariera en 1898, elle ignorait où résidaient ses parents.

Car après 1882, ses parents s’étaient manifestement séparés.

Sa mère avait eu un fils Eugène Alphonse Albert en 1884 à Lisieux. L’enfant, déclaré par Louis Eugène MAREST comme fils de Pascal Théodore ANGRAND, absent, était vraisemblablement fils du premier. Ernestine aura d’ailleurs une autre fille avec MAREST, Eulalie Louise, en 1891 à Caen.

Pascal Théodore vivait lui avec Vitaline Rosa ROUSSEAU, qu’il épousera en 1884 à Marville-Moutiers-Brûlé, en Eure-et-Loir, et dont il avait eu un fils, Paul, en 1883 au même lieu. Il aura deux autres fils, Emile en 1890 et Arsène Aimé en 1892.

Il était encore en vie en 1911 à Marville-Moutiers-Brûlé, où il semblait, enfin, s’être fixé.

recensement 1911 – Marville-Moutiers-Brûlé – 2 MI 107 – AD Eure-et-Loir


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