Ils ont souhaité partir au bagne

Jean François BARASSON nait le 7 août 1859 à Annonay, en Ardèche, juste 9 mois après le mariage de ses parents, Jean Germain BARASSON, mégissier, et Virginie COMBETTE. Il restera un temps enfant unique, mais aura finalement deux sœurs, Marie Louise, née en 1865, et Augustine Marguerite, née en 1872.

Famille BARASSON – Heredis – Famille XXL

Jean François grandit tout d’abord à Annonay, où, à cette époque, un ouvrier sur deux est mégissier, c’est-à-dire qu’il travaille la peau ou le cuir. De taille moyenne, blond aux yeux bleus, son visage au teint frais aurait pu être agréable, s’il n’avait pas eu cette cicatrice au-dessus du nez et si sa face n’avait pas reflété ses mauvaises pensées.

Car Jean François BARASSON va commencer bien tôt ses méfaits. Le 14 octobre 1872, alors qu’il n’a que 13 ans, il est condamné par le tribunal de Tournon-sur-Rhône, à une trentaine de kilomètres d’Annonay, à 15 jours de prison, pour vol et complicité.

Deux ans plus tard, c’est devant le Tribunal d’Orléans qu’il comparait, le 18 mai 1874, pour vol d’aliments, ce qui le conduira à la maison de correction jusqu’à ses 18 ans.

Lorsqu’il sort de prison, en 1877, on sait qu’il a appris le métier de mégissier, comme son père, mais on ne sait pas trop où il réside. Ses parents avaient quitté Annonay pour vivre à Paris, où sa mère, Virginie COMBETTE, décède le 26 janvier 1877, 29 boulevard de Port-Royal, dans le 13ème. La famille ne roule vraisemblablement pas sur l’or, car la défunte sera inhumée le lendemain, dans une tranchée gratuite de la 10ème division du cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (94).

registre journalier d’inhumation – cimetière d’Ivry – Archives de Paris

Les relations de Jean François avec sa famille sont loin d’être au beau fixe. A deux reprises, il a disparu de la maison paternelle en emportant les économies de son père, aussi retourne-t-il dans sa région d’origine. Mais c’est pour y commettre de nouveaux vols, avec deux autres ouvriers mégissiers, aussi originaires d’Annonay, et encore plus jeunes que lui.

Il va en effet s’accoquiner avec un certain François FOURNIER et avec un nommé Louis Régis SALIQUE, qui n’avait que 15 ans.

François FOURNIER, lui, avait 5 mois de moins que Jean François BARASSON, puisqu’il était né le 6 mars 1859, de Jean François Régis FOURNIER, vigneron, et d’Euphroisie MARCOU, ménagère. Ses parents n’étaient ni l’un ni l’autre originaires d’Annonay, mais ils s’y étaient mariés le 24 novembre 1851 et y avaient fait leur vie.

François était au milieu d’une fratrie de six enfants, trois garçons et trois filles. Il avait eu un frère jumeau prénommé Jean Pierre, mais qui était décédé en bas âge, de même que les deux ainées, Marie Rose et Jeanne Marie Euphroisie. Restaient donc François, Ferdinand Alphonse, né le 19 novembre 1856 et Marie Euphroisie, née le 19 décembre 1863. Cette dernière était d’ailleurs une fille posthume, car le père, Jean François Régis FOURNIER était décédé quelques jours plus tôt, le 6 décembre.

Famille FOURNIER – Heredis – famille XXL

Euphroisie MARCOU s’était donc retrouvée veuve avec trois enfants en bas âge et la situation de la famille avait dû être difficile. Cela n’excuse pas pour autant le futur comportement délictueux de François FOURNIER, mais peut en partie l’expliquer.

Ouvrier mégissier, il va enchainer deux condamnations pour vol et complicité, au tribunal de Tournon. La première, le 19 mai 1876, l’envoie en prison pour 6 mois et la seconde, le 15 septembre 1877, pour 4 mois.

François FOURNIER est à peine sorti de prison qu’il va effectuer un vol avec effraction, avec Jean François BARASSON et Louis Régis SALIQUE.


En effet, le 25 février 1878, en l’absence de la propriétaire, ils s’introduisent dans le domicile de la veuve TOURRON. Cette dernière tenait un débit de boisson dans une maison isolée sur la grand-route, auprès du hameau de Rouèze, dans la commune de la Versanne (42). La veuve TOURRON était partie à la foire de Bourg Argental, à 6 kms de là, avec sa fille, la femme MOREL.

A leur retour, vers 19h30, elles remarquèrent que les fenêtres du rez-de-chaussée étaient éclairées. C’était sûr, quelqu’un avait dû s’introduire dans la maison en leur absence. Apeurées, elles appelèrent à la rescousse un de leurs voisins, le sieur Pierre RICHARD, cultivateur, qui les suivait à peu de distance.

Ce dernier les rejoignit et, courageux, pénétra hardiment dans la maison. La pièce, éclairée par une bougie qui brulait sur une table, était toute en désordre. Les armoires avaient été fracturées et leur contenu éparpillé sur le plancher. La veuve TOURRON constata qu’un certain nombre d’objets avaient disparu. Sur la table, à côté de la bougie, il y avait deux bouteilles de vin pleines, mais de voleur point, ils avaient disparu eux aussi.

Au même moment, une voiture arrivait sur la route, en provenance de Bourg-Argental et le conducteur, interrogé, signala qu’il avait croisé trois jeunes gens avec des paquets. La gendarmerie, prévenue, apprit que les présumés voleurs étaient en train de s’engager sur le chemin de Saint-Julien-Molin-Molette. Le maréchal-des-logis, François WALTZ, s’empara aussitôt de son sabre et de son revolver, et se mit à leur poursuite. Il put rapidement les rattraper et les appréhender. Ils étaient effectivement porteurs de la plus grande partie des objets soustraits à la veuve TOURRON.

extrait du « Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire » – 22 juin 1878 – page 3 – Retronews

C’est ainsi que nos trois lascars se retrouvent, le 21 juin 1878, devant la Cour d’Assises de Montbrison, dans la Loire, sous l’accusation de vol qualifié.

A l’audience, Jean François BARASSON va vouloir assumer sur sa tête l’entière responsabilité du vol commis chez la veuve TOURRON, et on va assister à quelque chose d’à peine croyable, il va dire carrément qu’il désire être condamné aux travaux forcés et envoyé par-delà les mers. « Là-bas, ajoute-t-il, je pourrai revenir au bien, après l’expiration de ma peine ».

Pour François FOURNIER, c’est la même chose, il ne désire pas moins que d’être envoyé au bagne. « Je ne crois pas, dit-il, pouvoir rester en France ».

extrait du « Républicain de la Loire et de la Haute Loire » – 22 juin 1878 – page 3 – Lecturaplus

Avec Louis Régis SALIQUE, c’est une tout autre chanson. Il n’a pas encore eu de condamnation et se défend d’avoir pris part au vol commis. Comme l’indiqueront les journaux de l’époque, il n’est pas encore arrivé à l’âge où, dans un certain milieu, on considère comme une bonne fortune un séjour à la Nouvelle-Calédonie.

Me Justin DUSSER, défenseur de BARASSON et Me DULAC, défenseur de FOURNIER avaient vu leurs efforts paralysés par les déclarations de leurs clients, et c’est tout naturellement que le jury répondit au désir des deux accusés en les condamnant chacun à la peine de 8 ans de travaux forcés, peine assortie de 10 ans de surveillance pour BARASSON et de 8 ans de surveillance pour FOURNIER.

extrait du « Journal d’Annonay » – 29 juin 1878 – page 3 – Lecturaplus

SALIQUE, défendu par Me DULAC, fut condamné à être enfermé en maison de correction jusqu’à sa vingtième année. BARASSON et FOURNIER, à l’annonce du verdict, nageaient dans la joie. SALIQUE était beaucoup moins satisfait.

Jean François BARASSON arrivera au dépôt de l’Ile de Ré le 20 juillet 1878. On suppose que François FOURNIER y est arrivé le même jour, mais on n’en a pas la certitude.


Au bagne, le destin des deux complices condamnés aux travaux forcés sera bien différent. L’un “retournera au bien”, comme il l’avait espéré lors de son procès, l’autre se tournera définitivement vers le mal.

Jean François BARASSON passera 1ère classe le 20 janvier 1883. Il a un travail, il est blanchisseur et il est mis en concession à Bourail le 13 janvier 1884.

Il s’était marié la veille avec Francine Amélie LEBÈGUE.

Cette dernière, née le 24 juin 1851 à Reims, fille de Florent LEBÈGUE et de Marie Jeanne PANIEL, était aussi une condamnée de droit commun.

Dès 1867, elle avait enchainé, à Reims, une longue liste de condamnations pour vols. Le 20 février 1867, elle avait tout d’abord été envoyée en maison de correction jusqu’à ses 18 ans.

Puis, toujours à Reims, elle avait été condamnée :

  • le 23 juillet 1870 à 6 mois de prison,
  • le 20 décembre 1871 à 8 mois de prison,
  • le 1er février 1873 à 13 mois de prison,
  • le 29 avril 1874 à 8 mois de prison,
  • le 12 juin 1875 à 2 ans de prison,
  • le 26 décembre 1877 à 15 mois de prison.

C’est ensuite la Cour d’Appel de Paris qui l’avait condamnée à 18 mois de prison, toujours pour vol, le 17 octobre 1879.

Cette petite bonne femme d’1m 43, aux cheveux châtain clair, aux yeux bleus et au teint coloré, qui savait cependant lire et écrire, hormis l’argent rapporté par ses vols, vivait du produit de la prostitution.

Sa dernière condamnation par le tribunal de Reims, à la peine de deux ans de prison, pour vol en état de récidive légale, le 2 août 1882, la mènera à la Maison Centrale d’Auberive, d’où elle partira pour la Nouvelle-Calédonie, où elle arrivera sur l’Océanie le 10 mai 1883.

Huit mois plus tard, elle épousait donc Jean François BARASSON.

Elle était libérable et fut effectivement libérée de la prison n° 191, le 2 août 1884.

Quant à son mari, libérable le 25 juin 1886, il passa ce jour-là en 4.1 n° 5358. Au cours de sa peine, sa conduite avait été bonne et il n’avait subi que 57 nuits de prison pour infractions aux règlements, la dernière condamnation datant du 21 décembre 1886, où il fut condamné à 6 jours d’emprisonnement, pour infraction à l’interdiction de séjour.

extrait du dossier de bagne BARASSON Jean François – COL H 114 – ANOM

En 1897, Jean François BARASSON formera une demande en remise de résidence. Seront joints à cette requête, plusieurs certificats de ses employeurs à la Colonie, qui n’ont eu qu’à se louer ses services et de sa conduite. On sait ainsi qu’il a travaillé comme blanchisseur, repasseur, ou domestique :

  • pour Madame veuve ROMAND, gérante du Cercle de Nouméa, pendant 11 mois, à dater du 22 juin 1892,
  • pour Monsieur BUARD à Nouméa, à partir de 1894 et ce pendant 2 ans et demi, jusqu’en juin 1896,
  • pour Monsieur CUDELOU, à l’Hôtel du Commerce de Nouméa, avant avril 1896,
  • à l’Hôtel National à Nouméa, du 14 avril au 20 juillet 1896,
  • pour Madame Rébecca MACEAN pendant 6 mois, jusqu’au 1er juillet 1897.

extrait du dossier de bagne BARASSON Jean François – COL H 114 – ANOM

Lorsqu’il écrit cette lettre, Jean François est alors employé dans la Maison ROGGERO, boulevard Wagram, à Nouméa.

La demande de Jean François BARASSSON sera exhaussée. Le 21 décembre 1897, Félix FAURE, alors Président de la République, lui accorde la remise de l’obligation de résidence aux colonies.

A quelle date Jean François BARASSON et Francine Amélie LEBÈGUE ont quitté la Nouvelle-Calédonie pour la France ? On l’ignore.

En août 1903, Marie Louise BARASSON, alors épouse DUPRÉ, et qui habite rue des Cordeliers à Paris, écrit au Ministre des Colonies, pour demander des nouvelles de son frère. Elle a le besoin urgent de le joindre, pour une affaire de succession. Elle a trouvé, au dos d’une carte d’électeur de son père, datant de 1884, l’indication que son frère était concessionnaire à Bourail. L’Administration lui répondra qu’elle ne le retrouve pas sur les matricules de la Transportation. Le couple est peut- être déjà rentré en France.

On ne retrouve sa trace qu’en 1924. Il résidait 24 rue Broca dans le 5ème arrondissement de Paris. Jean François, qui était chauffeur, est décédé le 17 novembre de cette année-là, au 41 rue Boileau, dans le 16ème. Il sera inhumé deux jours plus tard, le 19 novembre 1924, dans le cimetière parisien de Bagneux (92). Il avait 65 ans.

acte de décès BARASSON Jean François – 17 novembre 1924 – Paris (16ème) – 16 D 129 – Archives de Paris

Son épouse, Francine Amélie LEBÈGUE, est décédée cinq ans plus tard, le 30 novembre 1929, au 47 boulevard de l’Hôpital (13ème), à l’Hôpital Pitié-Salpêtrière. Elle sera été inhumée le 4 décembre 1929 au cimetière de Thiais (94). Elle avait 78 ans.

Pour François FOURNIER, le complice de Jean François, la première partie de son séjour au bagne se déroulera sans encombre, puisque libérable le 26 juin 1886, il passera ce jour-là en 4.1 n° 5360, mais l’avenir sera beaucoup moins rose.

Alors qu’il résidait à La Pirogue, il sera condamné le 30 avril 1891 à Nouméa, à la peine de 10 ans de travaux forcés et à la relégation, pour homicide volontaire, et sera écroué au pénitencier le 28 novembre de la même année. Il aurait été libérable le 27 août 1901, sans de nouvelles sanctions.

Mais il tentera de s’évader le 18 mars 1892, et sera réintégré deux jours plus tard. Il fera une nouvelle tentative quelques mois plus tard, le 15 octobre 1892 et bénéficiera de plusieurs mois de liberté, puisqu’il ne sera repris que le 15 mars 1893. Mais le prix à payer sera de 5 ans de travaux forcés, peine prononcée par le Tribunal maritime le 25 avril 1893.

Sans doute usé par les conditions très dures que lui valurent ces nouvelles sanctions, il décèdera trois ans plus tard, le 10 septembre 1896, à l’Ile Nou. Il n’avait que 37 ans.

acte de décès FOURNIER François – extrait du dossier de bagne FOURNIER François – COL H 470 – ANOM

En France

La famille BARASSON était installée en région parisienne. Jean Germain, le père, est décédé le 8 juin 1893 à Paris. On sait, grâce à sa fille Marie Louise, qu’il avait gardé contact avec son fils, au moins jusqu’en 1884.

Marie Louise BARASSON, teinturière, aura trois maris, Alexandre Louis Bernard CHARRIÈRE, journalier épousé en 1884 et décédé en 1894, Jean ADAM, mégissier, épousé le 30 avril 1898 et décédé deux mois plus tard, et Alphonse DUPRÉ, mégissier épousé en 1902 et décédé en 1926. A noter que le deuxième mariage de Marie Louise était un mariage “in extremis”, qui nous rappelle celui d’Ernest GORDON, un autre bagnard, avec Elvina METZGER, en 1903. Marie Louise décèdera en 1926 à Lagny-sur-Marne (77).

L’autre soeur de Jean François, Augustine Marguerite, couronnière, épousera en 1893 Edouard MOUTH, journalier, décédé en 1920. Elle-même décèdera en 1929 à Coulommiers (77).

On ne sait pas si elles avaient repris contact avec leur frère et belle-soeur.

La famille FOURNIER était en grande partie restée à Annonay, en Ardèche.

Euphroisie MARCOU, la mère de François, y était décédée le 13 août 1916.

Ferdinand Alphonse, le frère de François, y avait épousé Marie Euphroisie Clémentine VALLA, en 1880, mais avait déménagé. Le couple résidait à Lyon en 1901.

Quant à Marie Euphroisie FOURNIER, elle y avait épousé Marie Joseph Alexandre DEYGAS, un corroyeur, en 1882. Le couple résidait toujours à Annonay en 1914, après avoir vécu un temps à Ruffieux.


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