Petit Louis et les casquettes de velours

Si Louis Maximilien RUTZ et Gustave LACHENAL-CHEVALET se sont retrouvés ensemble sur le Navarin, lors du voyage qui les a amenés en Nouvelle-Calédonie, le 11 mai 1879, ce n’était pas un hasard.

Tous les deux faisaient partie de la même bande de voleurs, la Bande aux casquettes de velours, ou la Bande à Petit-Louis, une de ces bandes de voleurs qui sévissaient à Paris dans les années 1870, et dont certains membres étaient déjà partis au bagne avant eux.

Ils n’étaient pourtant pas issus tous les deux du même milieu.

Louis Maximilien RUTZ, né le 27 novembre 1855 à Paris, était fils de Jean Florian Aloïse RUTZ, originaire de Grisons en Suisse, tour à tour journalier, pâtissier ou polisseur sur marbre, et d’Euphrasine Augustine HAUWEL, née dans le Pas-de-Calais.

Il avait trois frères, Florian Rodolphe, né vers 1853, Jean Baptiste Noël, né en 1859 et Mathieu Jean, né en 1862. Louis Maximilien avait eu aussi deux sœurs, Adolphine Annette née en janvier 1852 et Marie Désirée Christine née en 1858, ainsi qu’un autre frère, Eugène né en 1864, tous décédés en bas âge.

Famille RUTZ – Heredis – Famille XXL

La famille vivait dans la plus profonde misère. On apprend ainsi dans la presse qu’Euphrosine Augustine HAUWELLE, mère de Louis Maximilien, passait une partie de sa vie au dépôt de mendicité.

extrait du « Gaulois » – 8 août 1875 – page 3 – Retronews

On y apprend aussi, de la bouche même de leur mère, que les quatre fils RUTZ, marbriers, ne vivaient que du produit de leurs vols, avec sans nul doute comme modèle leur père.

Pour Gustave LACHENAL-CHEVALET, ses parents, Michel LACHENAL-CHEVALET, estampeur, et Angélique CUDRAZ, s’étaient mariés à Paris en 1842. Ils étaient cependant originaires de Savoie et Angélique était repartie là-bas pour accoucher de Gustave, né le 30 mars 1844, à Doucy-en-Bauges.

Famille LACHENAL-CHEVALET – Heredis – Famille XXL

Deux autres enfants naîtront à Paris, Estelle en 1850, qui épousera un bijoutier, et Georges Marie en 1852. Ce dernier deviendra artiste-peintre et exposera même au Salon de 1873.

extrait du « Soleil » – 19 juin 1873 – page 3 – Retronews

tableau de Georges LACHENAL-CHEVALET – Bougie et tabagie – 1873

Une famille apparemment unie et honorable.

Pourtant, lorsque Gustave LACHENAL-CHEVALET épouse Célestine Ursule LABLE, cuisinière, le 8 février 1872, à Paris (11ème), il a déjà une condamnation à son actif. Il a été condamné par le tribunal correctionnel de la Seine à deux mois de prison pour vol, le 6 juillet 1871.

Une petite Eva naîtra de cette union, le 8 novembre 1872 à Paris (4ème).

Il aura une autre fille, Amélie, née le 5 janvier 1874 à Sergines, dans l’Yonne, village d’origine de Célestine Ursule LABLE, où les parents de celle-ci sont d’honorables rentiers, après avoir été vignerons. Gustave y demeure momentanément, car son domicile officiel est à Paris, 92 rue Saint-Maur-Popincourt.

C’est en 1875 que Gustave affronte encore la justice. Il est condamné, le 6 juillet, à 6 mois de prison et le 16 septembre, à 2 ans de prison pour vol . Ses exploits ont été détaillés dans le journal « Le Gaulois » du 8 août. Le sieur Auguste Eugène DANICOURT, 33 ans, marchand, qui s’était rendu complice, par recel, de ces vols, aurait dû être aussi dans le banc des accusés, mais il était en fuite.

extrait du « Gaulois » – 8 août 1875 – page 3 – Retronews

LACHENAL-CHEVALET est d’abord arrêté pour vol au préjudice d’un certain Jean Nicolas PORTE. Ce dernier sortait de la Roquette, avec un porte-monnaie contenant 80 francs, quand il rencontra LACHENAL-CHEVALET boulevard Voltaire. Ils passèrent la journée ensemble en libations et c’est le soir, alors qu’ils étaient ivres, que LACHENAL-CHEVALET barbotta l’argent dans les poches de son compagnon, avenue Bosquet. Lors de son arrestation, LACHENAL-CHEVALET était porteur d’un billet de vente d’une obligation de la ville de Paris 1871, signé du fameux DANICOURT.

Pour les autres délits, il les avait commis en juillet 1875 chez le sieur BARATHIÉ, tailleur au 31 Boulevard Bonne-Nouvelle, à qui il avait volé auparavant, le 14 novembre 1874, sa clef d’appartement et une montre en argent. Cette fois, il avait dérobé un portefeuille renfermant 6 obligations diverses de la Ville de Paris, 2 actions du Chemin de fer de l’Est, 2 obligations 5% du même Chemin de fer de l’Est, 2 titres de rente sur l’Etat, un récépissé de 110 francs, deux billets de 100 francs, 5 billets de 20 francs et trois foulards en soie.

Tribunal correctionnel de la Seine – 16 septembre 1875 – minutes des jugements – D1U6 58 – Archives de Paris

Il ajouta aussi qu’il avait commis ce vol avec un certain Petit-Louis, autrement dit Louis Maximilien RUTZ, et il aurait brulé les documents dans sa chambre, en présence de RUTZ.

A ce moment-là, Louis Maximilien RUTZ est entre les mains de la justice, en compagnie de deux de ses frères, qui faisaient aussi partie de la bande de voleurs, comme on l’a vu plus tôt.

La première condamnation de Louis Maximilien RUTZ datait du 13 novembre 1871 et il avait écopé d’un mois de prison pour vol.

Auparavant, il avait fait partie des 41 375 personnes inculpées par la justice militaire et le Tribunal correctionnel de la Seine, pour avoir participé à la Commune de Paris. Il était alors âgé de 16 ans, serrurier de profession, et habitait 78, avenue de Charenton, dans le quartier des Quinze-Vingt, à Paris (12ème). Il avait bénéficié d’un non-lieu lors du 12ème conseil de guerre, le 24 décembre 1871.

Le registre matricule du bagne de Louis Maximilien indique des condamnations à deux mois pour vol le 24 juin 1872, et à 6 mois pour mendicité le 5 octobre de la même année. Ces condamnations n’ont pas été retrouvées dans les rôles du tribunal correctionnel de la Seine mais les dates correspondent à des forfaits commis par ses frères Florian Rodolphe et Jean Baptiste Noël.

Tribunal correctionnel de la Seine – minutes des jugements – 24 juin 1872 – D1U6 19 – 5 octobre 1872 – D1U6 23 – Archives de Paris

Ensuite, toujours condamné à Paris, il fera 3 mois de prison pour vol, le 29 août 1874.

En 1875, il aura 3 condamnations, 6 mois pour mendicité le 18 mars, 15 francs d’amende pour pêche le 26 juin et 13 mois de prison le 14 octobre pour vol de pigeons, cotte, bottines et bourgeron.

Tribunal correctionnel de la Seine – 14 octobre 1875 – minutes des jugements – D1U6 59 – Archives de Paris


C’est en décembre 1877 que son arrestation sonnera la fin de ses exploits. Lorsque la police l’arrête, en compagnie de deux autres repris de justice, RUTZ claironne : « Je parlerai seulement devant le juge d’instruction et les révélations que je ferai sont de la plus haute importance ».

Mais une fois devant Monsieur le Juge d’instruction BONJEAN, chargé de l’affaire, il reste muet et il est incarcéré à Mazas, prison qui se situait en face de la Gare de Lyon. La police ne sait toujours pas qu’elle a dans ses filets le chef de la bande à Petit-Louis, mais elle est sûre de se trouver en présence d’une bande « formidable ».

C’est le commissaire du XIème arrondissement, Monsieur LUCCIANI, qui dénouera l’affaire. Quelques jours auparavant, il était sur la piste d’une bande qui avait commis un vol important chez un nommé ROUSSELLE, rue Sainte-Marguerite. Lors de son enquête, il avait appris que des individus ayant des allure suspectes avaient fait de fortes dépenses, en compagnie de filles publiques, dans l’établissement d’un nommé P.

extrait du « Gaulois » – 22 décembre 1877 – page 2 – Retronews

Il réussit, le soir même, à arrêter un individu, qui n’était autre que LACHENAL-CHEVALET, et une fille nommée ROSALDE. Le commissaire LUCCIANI obtint d’eux l’information selon laquelle l’homme incarcéré à la prison Mazas n’était autre que Petit-Louis, le chef de la bande, recherché depuis longtemps pour des méfaits de la plus haute gravité.

Apprenant qu’il avait été dénoncé, RUTZ fait des révélations. Il avoue que depuis 1872, il a commis pas moins de 152 vols qualifiés, et qu’il a été le complice de POIGNARD, CHEVALIER, MAILLARD, CHAUSSON et VRIGNAULT, condamnés, quelques mois auparavant, aux travaux forcés. Il dénonce aussi tous ses complices et fait connaitre leurs lieux de réunion.

Munie de ces informations, l’autorité se rend aux abords du marché Lenoir. La police arrête une vingtaine de repris de justice et découvre, en vidant des fosses d’aisance, une foule d’objets volés dans de riches maisons ou dans des églises. Les receleurs s’en étaient débarrassés lorsqu’ils avaient appris l’arrestation de Petit-Louis. D’autres fouilles furent aussi menées dans les égouts.

extrait du « Gaulois » – 29 décembre 1877 – page 2 – Retronews

Mais après ces premiers aveux, RUTZ deviendra moins loquace et le magistrat instructeur se heurtera à des difficultés, qu’il ne pourra surmonter qu’avec beaucoup d’efforts.

BONJEAN arrive quand même à reconstituer le véritable état-civil de Petit-Louis et fait arrêter par LUCCIANI, Jean Florian Aloïse RUTZ, le père, et d’autres membres de la famille. Ces arrestations ont le don de délier la langue de RUTZ : « Maintenant que toute ma famille est sous les verrous, dit-il, j’irai jusqu’au bout dans mes révélations ».

D’après ses indications, le commissaire LUCCIANI arrêta, dans une maison de tolérance du Boulevard de Charonne, une fille nommée L…, qui dénonça un plan prévu pour l’Exposition Universelle, qui devait avoir lieu à partir du 1er mai 1878. Il s’agissait d’une sorte de Tour de Nesle, dans laquelle seraient attirés des étrangers, par le soin de filles complices des audacieux coquins de la bande, pour les détrousser ou pire encore.

Il ne faudra pas moins de six mois au Juge BONJEAN pour boucler son dossier.

Ce sont 11 accusés qui paraissent devant la Cour d’Assises de la Seine, présidée par Monsieur SEVESTRE, le 29 mai 1878, sous l’inculpation, les uns de vols avec effraction et escalade dans une maison habitée, les autres de recel des objets volés.

Les deux principaux accusés, Louis Maximilien RUTZ et Gustave LACHENAL-CHEVALET ne nient aucun des crimes qui leur sont reprochés.

RUTZ, 1 m 61, les yeux gris, les cheveux châtains, le nez fort, une grande bouche, cicatrice au sourcil droit, est le type du souteneur de barrière. Il a les « rouflaquettes » traditionnelles, la cravate lâche et de couleur claire. Il grasseye et sourit en regardant le jury, à chaque nouveau méfait énoncé. Défendu par Me PELVEY, il sollicite lui-même la sévérité du jury.

LACHENAL-CHEVALET, 1 m 61, les yeux gris, les cheveux blonds, un signe à la tempe droite, une pensée tatouée sur le bras gauche, discute longuement les détails des crimes qui lui sont reprochés. Il pose pour la galerie. Il est défendu par Me REVOIL.

Quant aux autres prévenus, on a ERNEST, COLLAS et VLAMENK, trois gavroches déjà abêtis par le vice précoce, MAILLARD, qui n’a pas l’air de comprendre un mot de ce qui se passe, CORDELIER, brocanteur, et BERTEL, un juif polonais, accusés tous les deux de recel, et enfin Rosalie LAFON, Eugénie L’HONNEUR et Marie FROMONT, trois jolies filles publiques, qui pleurent à chaud de larmes pendant tous les débats. En cours de débats, l’accusation est abandonnée pour BERTEL.

Après une longue délibération, le jury rend un verdict de culpabilité, sans circonstances atténuantes, à l’égard de RUTZ et LACHENAL-CHEVALET, avec circonstances atténuantes à l’égard de la fille FROMONT, la fille LAFON et ERNEST, et déclare non coupables CORDELIER, BERTEL, COLLAS, VLAMENK, MAILLARD et Eugénie L’HONNEUR.

Le 29 mai 1878, la Cour d’Assises de Paris condamne RUTZ et LACHENAL-CHEVALET à 20 ans de travaux forcés, assortis de 20 ans de surveillance.

La fille LAFON est condamnée à 5 ans de réclusion et 5 ans de surveillance, ERNEST à 4 ans de prison. La fille FROMONT, condamnée à 2 ans de prison, éclate en sanglots à l’audition de l’arrêt, et les gardes sont obligés de l’emmener.

Arrêts Cour d’assises de la Seine – D1U8 64 – Archives de Paris

Juste après ce jugement, RUTZ sera encore condamné pour vol, le 7 juin 1878, à 2 ans de prison, mais la peine se confondra avec celle aux travaux forcés.

Un certain nombre des vols commis l’étaient au préjudice d’individus racolés par sa maitresse Rosalie Clémentine LAFON, une jolie fille de 20 ans, les cheveux châtains, les yeux bleus et le teint frais. Car en plus de voleur, RUTZ était signalé comme un souteneur de filles publiques.

On ne peut d’ailleurs résister à produire, ci-contre, les principaux passages d’une lettre envoyée par RUTZ à sa maitresse, Rosalie Clémentine LAFON, alors que cette dernière était détenue à Saint-Lazare, et qui ne dépeint que trop bien les mœurs de ce triste monde de malfrats.

extrait de « L’Événement » – 21 juin 1878 – page 3 – Retronews

RUTZ et LACHENAL-CHEVALET arriveront le 15 juillet 1878 au dépôt de l’Ile de Ré.


Au bagne, ils auront un comportement différent l’un de l’autre.

Louis Maximilien RUTZ n’essaiera même pas de s’évader. Son attitude lui permettra de passer 1ère classe le 28 février 1886.

Son père, Jean Florian Aloïse RUTZ, qui habitait toujours 78, avenue de Charenton, s’était inquiété de son sort et avait écrit au ministère de la Marine et des Colonies, en avril 1884.

Il lui avait été répondu le mois suivant que son fils faisait bien partie des condamnés présents en Nouvelle-Calédonie, et qu’il n’était pas hospitalisé, autrement dit qu’il se portait bien.

Louis Maximilien sera concessionnaire à la Foa n° 4 R22, le 9 avril 1894, d’un lot rural d’une superficie de 16 ha.

Mais l’année suivante, de nouvelles dispositions réglementaires et particulièrement un article 8 du décret du 18 janvier 1895, fixent à 10 ha la surface maximale des lots pouvant être attribués aux condamnés.

Louis Maximilien, libérable le 29 mai 1898, passe 4.1 n° 10644 le 2 juin 1898, et se voit ainsi attribuer, le 17 novembre suivant, un lot n°22, réduit à 9 ha 30 a, à La Foa, concessions du Bas Farino.

extrait du dossier de bagne – RUTZ Louis Maximilien – COL H 1405 – ANOM

La seule chose qui lui sera reprochée est un défaut de visa, qui lui vaudra 15 jours de prison, le 17 janvier 1900.

Il survivra jusqu’en 1920 et décédera à l’Ile Nou, le 5 février. Il avait 64 ans. Son décès sera retranscrit à Paris (12ème), le 25 octobre 1920.

Gustave LACHENAL-CHEVALET, lui, se rebellera. Il tentera une première fois de s’évader de Bourail, le 5 janvier 1880. Il sera réintégré le 17 janvier. Cette tentative lui vaudra 2 ans de travaux forcés et 5 ans de surveillance et les frais, le 17 septembre 1880.

Il sera condamné l’année suivante, le 27 mai 1881, à 5 ans de travaux forcés et 20 ans de surveillance et frais, à nouveau pour évasion.

Il décèdera l’année suivante, le 1er mai 1882, à l’Ile Nou. Il avait seulement 38 ans. Son décès sera retranscrit le 23 décembre 1882, à Paris (4ème).

En France, l’épouse de Gustave LACHENAL-CHEVALET, Célestine Ursule LABLE, ne se remariera pas et décèdera à Paris, le 12 mai 1920. Ses deux filles se marieront à Paris. Le reste de la famille sera décimé en quelques années. Le frère de Gustave, Georges Marie, décèdera en 1879, sa mère en 1887, sa soeur Estelle en 1889, et son père en 1890.

Pour la famille RUTZ, la mère, Euphrosine Augustine HAUWELLE décèdera en 1889, le père Jean Florian Aloïse RUTZ en 1891. Quant aux frères de Louis Maximilien, Jean Baptiste Noël, célibataire, décèdera en 1892, Florian Rodolphe deviendra chiffonnier et restera célibataire. Il décèdera à Paris en 1901. Mathieu Jean, devenu pâtissier, se mariera en 1900. C’est le seul qui survivra à Louis Maximilien, car il était toujours en vie en 1921.

Et pour ce qui est des exploits des frères de Louis Maximilien RUTZ et des autres protagonistes de la Bande aux casquettes de velours, on en reparlera dans un autre article…


Un commentaire sur “Petit Louis et les casquettes de velours

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  1. Si je condamne bien évidemment leurs larcins, je ne peux pas m’empêcher de trouver un certain charme désuet à ces bandes de malfrats de la fin du 19eme siècle. Cela étant dit, si je m’étais trouvée être leur victime, je ne suis pas si sûre que je leur aurait trouvé le même charme.

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